Dans la foulée d’une table ronde parue dans un précédent magazine L’Hobbiz, AKT – CCI LVN a mené une enquête parmi les entreprises de la région (*) pour connaître leurs avis et leurs pratiques sur le télétravail.
Giseline Rondeaux, professeur associée à HEC Ecole de Gestion de l’Université de Liège et chargée de recherche au LENTIC, nous livre son analyse.
Votre entreprise autorise-t-elle le télétravail ?

Le télétravail est désormais largement adopté : plus de 93 % des répondants y ont accès, contre à peine 20 % avant la pandémie. Le Covid a joué un rôle d’accélérateur majeur, transformant une pratique marginale en norme organisationnelle.
D’abord imposé dans l’urgence, le travail à distance s’est pérennisé, amenant les entreprises à formaliser leurs politiques et à en définir les conditions.
Si certaines grandes sociétés ont ensuite tenté un retour partiel au présentiel, la tendance générale reste stable. Le télétravail est devenu un droit acquis pour de nombreux salariés, même s’il demeure inégalement réparti selon les fonctions et les secteurs. Il a surtout fait évoluer la culture managériale, en introduisant plus de confiance et d’autonomie dans la relation de travail.
A titre personnel, en tant que dirigeant, pratiquez-vous le télétravail ?

A titre personnel, en tant que collaborateur, pratiquez-vous le télétravail ?

Seulement trois dirigeants sur dix télétravaillent, ce qui traduit une certaine réserve managériale. Ce frein n’est pas tant technique qu’organisationnel : il renvoie à une culture encore fondée sur la présence physique et le contrôle visuel des équipes.
Le télétravail, en déplaçant la mesure de la performance vers les résultats, suppose un changement de paradigme : passer d’un management du contrôle à un management de la confiance et des objectifs.
Ce basculement reste difficile pour une partie du leadership, surtout dans les entreprises peu habituées à la délégation ou aux formes d’autonomie. Le télétravail agit ainsi comme un révélateur des transformations culturelles du management, plus que comme un simple outil de flexibilité.
Si oui, quelle est la fréquence actuelle de votre télétravail ?

Que vous soyez télétravailleur ou non, quel rythme de télétravail vous semble le plus approprié ?

La majorité des répondants (près de 60 %) télétravaillent de façon occasionnelle, un tiers plusieurs jours par semaine. Cette pratique tend à s’institutionnaliser, avec des jours fixes devenant la norme, facilitant la coordination et la cohésion d’équipe.
L’époque du télétravail « de dépannage » (tempête, enfant malade, grève) semble révolue : il est désormais intégré à la stratégie RH et aux modèles d’organisation.
Les entreprises fixent un cadre clair : un à deux jours par semaine, souvent identiques pour tous, afin de maintenir la dynamique collective et l’efficacité logistique.
Cette formalisation témoigne d’une maturité nouvelle : le télétravail n’est plus un privilège individuel, mais un dispositif de fonctionnement régulier et structuré.
Quel est l’impact du télétravail sur la productivité ?

Les réponses montrent une perception nuancée : la moitié estime la productivité inchangée, un peu plus de 40 % l’ont vue progresser.
Ces écarts s’expliquent par la difficulté à mesurer objectivement la performance : selon les métiers, les outils ou les critères (économiques, sociaux, écologiques), les résultats divergent.
Les études disponibles reposent souvent sur du déclaratif, donc influencées par des biais de perception : les partisans du télétravail tendent à le valoriser, les sceptiques à le relativiser. Globalement, l’effet direct du télétravail sur la productivité reste difficile à isoler.
En revanche, il semble clair qu’il favorise la concentration individuelle, tout en exigeant une redéfinition du travail collectif et du rôle du management.
Quel est le principal avantage du télétravail selon vous ?

Les principaux bénéfices perçus – équilibre vie professionnelle/vie personnelle, réduction des trajets, gain de temps – restent constants depuis des années. Le Covid n’a pas changé la nature de ces avantages, mais leur poids symbolique : ils sont devenus des critères essentiels du bien-être au travail.
La dimension écologique a toutefois pris de l’importance : la diminution des déplacements représente un levier durable, réduisant la pollution et les risques d’accident.
Le télétravail est donc désormais perçu non seulement comme un outil de flexibilité individuelle, mais aussi comme une contribution à la durabilité environnementale et sociale de l’entreprise.
Quel est le principal inconvénient que vous observez à propos du télétravail ?

L’isolement et la perte de lien social arrivent en tête, suivis des difficultés de collaboration à distance.
Ces freins relèvent moins des outils – désormais performants – que de la dynamique collective. Les solutions existent : réunions régulières, jours fixes de présence, moments d’équipe planifiés.
Le véritable enjeu est managérial : animer, relier, faire circuler l’information dans des équipes hybrides. Le rôle du manager évolue : moins contrôleur, davantage facilitateur. Les difficultés techniques, autrefois majeures, sont devenues marginales grâce à la formation et à la généralisation des plateformes collaboratives.
L’enjeu principal reste donc humain et organisationnel : maintenir le lien et la culture commune.
Comment votre entreprise accompagne-t-elle le télétravail ?

Près de 60 % des entreprises ont mis en place une politique claire du télétravail, avec outils adaptés. C’est une étape clé : formaliser le dispositif garantit l’équité et la transparence, évitant les tensions entre ceux qui y ont droit et ceux qui en sont exclus.
Cette structuration s’accompagne souvent d’une redéfinition du rôle managérial : l’enjeu n’est plus de contrôler la présence, mais de maintenir la cohésion et la circulation de l’information.
Le télétravail devient un levier d’organisation et non un privilège. Les entreprises qui l’intègrent durablement adoptent une approche fondée sur la confiance, la clarté des attentes et la régulation collective.
Le télétravail a-t-il modifié les attentes en matière de conditions de travail ?

La pratique a clairement fait évoluer les mentalités. Un tiers des répondants se dit plus attentif au bien-être, un autre à la flexibilité.
Les entreprises doivent donc penser le télétravail comme une composante du climat social : espace de travail adapté, équipement adéquat, prévention de l’isolement. La flexibilité devient une valeur partagée, bénéfique aux deux parties lorsqu’elle est régulée.
Le télétravail agit aussi comme un révélateur des inégalités d’accès : il n’est pleinement durable que s’il est équitable et bien encadré. Les conventions collectives récentes (CCT 2021) intègrent d’ailleurs ces dimensions : santé, équipement, équilibre.
En cas de nouvelle opportunité professionnelle, la possibilité de télétravailler serait-elle un critère décisif ?

Pour deux tiers des répondants, la possibilité de télétravailler est désormais un avantage majeur – voire un critère décisif pour changer d’emploi. Depuis le Covid, cette attente s’est installée comme un « acquis social », en particulier chez les jeunes générations et les profils qualifiés.
Le télétravail s’impose comme un facteur d’attractivité et de fidélisation. Les entreprises qui refusent d’en offrir risquent d’apparaître rigides ou déconnectées du marché du travail actuel.
L’enjeu n’est plus de savoir s’il faut télétravailler, mais comment en faire un atout stratégique dans un environnement professionnel en mutation.
Merci à toutes les entreprises qui ont participé à cette enquête d’AKT – CCI LVN.
(*) Les résultats de cette enquête apportent des éclairages intéressants, mais ils doivent être lus avec discernement. La taille limitée de l’échantillon (177 entreprises de la région) invite à la prudence, et les situations des répondants varient fortement d’une organisation à l’autre (niveau de formalisation, modes de fonctionnement, pratiques de collaboration, etc.).
L’enquête a été réalisée de juillet à septembre 2025.

