
Hugo Paul se définit comme un explorateur de communautés. Cette personnalité hors du commun était l’invité de la journée de la plénière des groupes Oxygène d’AKT – CCI LVN organisée au Préhistomuseum à Flémalle.
Comment décrivez-vous votre activité ?
« J’ai la chance d’avoir comme métier de m’immerger dans une diversité de collectifs pour étudier comment mieux faire ensemble, comment mieux vivre ensemble. »
Quelles communautés avez-vous rencontrées et comment les choisissez-vous ?
« Mon but est d’aller voir le plus loin et le plus improbable possible. Je suis persuadé que l’être humain est fait pour faire ensemble. Dans nos cultures, nos manières de vivre et de nous rassembler, nous faisons preuve d’une grande créativité. De cette créativité naissent des innovations qui se partagent. L’objectif est d’aller chercher cette diversité pour s’inspirer, s’approprier des outils et méthodes, et voir comment cet art de ‘faire tribu’ résonne en nous. »
Pouvez-vous citer quelques exemples ?
« J’ai fréquenté des communautés qui perpétuent des traditions depuis des siècles, comme le peuple Sami, dernier peuple autochtone d’Europe, ou les moines de l’abbaye de Lérins, installés sur leur île depuis plus de seize siècles. J’ai aussi rencontré des communautés qui réinventent nos façons de vivre ensemble, comme une école en pleine forêt au sud de l’Espagne, la Forest School, ou encore des groupes d’entrepreneurs qui utilisent l’intelligence artificielle pour mieux s’entraider. »
Et que retenez-vous de ces expériences ?
« J’ai découvert la puissance des communautés. Collectivement, elles permettent de réaliser ce qu’un individu seul ne pourrait jamais accomplir. Mais elles élèvent aussi chacun de leurs membres individuellement. Je crois profondément à ce double pouvoir : collectif et individuel. Réunis, ils nous permettent d’affronter les grands enjeux d’aujourd’hui. »
Vous insistez beaucoup sur le rôle de l’éducation. Pourquoi ?
« L’éducation est au coeur de mon engagement. Une phrase m’a marqué :
‘On entend plus facilement un arbre qui tombe que des jeunes pousses qui grandissent dans la forêt.‘
Pour moi, l’éducation consiste à mettre en lumière ces jeunes pousses. Si je fais ce que je fais aujourd’hui, c’est parce que des personnes m’ont tendu la main et m’ont dit : ‘Je crois en toi’. L’éducation, c’est cela : élever en donnant confiance. Et cela vaut à tous les âges de la vie. »
Quelle place occupe le développement durable dans vos expériences ?
« C’est la genèse de mon aventure. En école d’ingénieur, j’ai pris de plein fouet la crise écologique et sociale : perte de biodiversité, dérèglement climatique, migrations, inégalités, tensions géopolitiques. J’ai ressenti une peur immense. Mais j’ai compris que ces enjeux ne pouvaient être résolus qu’ensemble. Ce sont des défis systémiques, qui demandent la coopération de tous les acteurs du système. »
Vous parlez de « société écologique ». Que voulez-vous dire ?
« Pour moi, une société écologique, ce n’est pas seulement une société « durable ». C’est une société qui reconnaît l’individu dans un écosystème plus large : entre humains, mais aussi avec les autres êtres vivants. C’est une société de liens, où l’on intègre la dimension humaine, sociale et naturelle. »
« Je crois profondément à ce double
pouvoir : collectif et individuel »
Comment transposez-vous cette approche au monde économique ?
« Une entreprise dans une société écologique prend en compte son écosystème :
• ses collaborateurs,
• ses partenaires,
• ses concurrents, parfois dans une logique de coopétition.
Elle doit aussi réfléchir à ses impacts environnementaux, sociaux et planétaires. Réussir, ce n’est pas gagner sur le court terme, mais durer. »
Doit-on transformer l’entreprise en tribu ?
« La question n’est pas d’imposer un modèle, mais de comprendre que les liens sont essentiels. Des études de Harvard montrent que les relations sont le premier facteur de bonheur et de santé. Puisque nous passons l’essentiel de notre vie au travail, si les liens y sont sains et nourrissants, alors les personnes seront plus heureuses, en meilleure santé, et l’entreprise atteindra plus facilement ses objectifs. »
Comment les dirigeants peuvent-ils faire percoler cette approche ?
« L’art de faire tribu repose sur des principes, pas sur des recettes. J’en ai identifié dix, dont un est fondamental : savoir différencier la vision et la mission. La vision, c’est le monde qu’on veut voir advenir. La mission, c’est le chemin concret pour y arriver. Sans cet alignement, l’énergie se disperse. »
Quels sont les pièges à éviter ?
« Vouloir inclure tout le monde. Une communauté, comme une cellule, a besoin de membranes. Elles définissent ce qui entre et ce qui sort, tout en restant poreuses. Tout le monde n’est pas fait pour une entreprise, et une entreprise n’est pas faite pour tout le monde. Clarifier cette membrane permet aussi de créer des ponts et des coopérations plus fécondes. »
Quel message avez-vous souhaité transmettre à la communauté Oxygène d’AKT – CCI LVN ?
« La qualité de notre vie dépend de la qualité de nos relations. L’Homo sapiens a survécu grâce à sa capacité à coopérer. Faire tribu, c’est conjuguer le ‘je’ et le ‘nous’ pour répondre à des enjeux collectifs. Mon message est simple : ‘faites ensemble, faites tribu’. »
Comment avez-vous accueilli l’invitation d’AKT – CCI LVN ?
« Avec joie ! J’ai grandi près de la frontière belge et c’est ma première intervention en Belgique. J’ai été touché par l’importance donnée aux liens dans l’organisation de cette journée. Je pense que vous avez déjà cette conscience que ce n’est qu’ensemble que nous pourrons relever les défis de demain. »
Êtes-vous confiant dans l’avenir ?
« J’ai peur, comme beaucoup, face aux fractures sociales et à la méfiance croissante. Mais je choisis de répondre à cette méfiance par la confiance : confiance en soi, confiance en l’autre, confiance dans notre capacité collective. L’humanité a déjà traversé bien des épreuves. Elle peut trouver dans cette confiance les ressources pour bâtir demain. »