
Berceau de la révolution industrielle, la Wallonie doit renouer avec son destin industriel au 21e siècle. Pandémie, guerre, urgence climatique, rivalités économiques : ces chocs ont rappelé que l’industrie reste synonyme d’autonomie, d’innovation et de prospérité. La région a des atouts, mobilisons-les.
Un contexte macroéconomique en mutation
La mondialisation heureuse des années 2010 a cédé la place à une conjoncture bien plus incertaine, c’est peu de le dire. La pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont fragilisé les chaînes d’approvisionnement et provoqué un choc énergétique et inflationniste majeur.
Le commerce mondial ralentit, mettant sous pression le modèle exportateur qui faisait la force de l’Europe. La dépendance à des fournisseurs lointains est désormais remise en question, tandis que les tensions géopolitiques poussent sans cesse davantage à localiser certaines productions stratégiques plus près des consommateurs.
Ensuite, la dynamique protectionniste américaine change fondamentalement la donne et remet en cause les fondamentaux du commerce mondial.
Dans le même temps, la compétition industrielle s’intensifie. Les États-Unis et la Chine investissent massivement pour soutenir leurs filières stratégiques, poussant l’Europe à réagir, souvent en ordre dispersé, pour ne pas perdre en compétitivité.
L’Europe relance (une nouvelle fois) sa politique industrielle
La réponse de l’Union européenne (UE) s’est rapidement précisée. Mario Draghi, mandaté en 2024 pour dresser une trajectoire à l’échelle européenne, a produit un rapport complet, sans concession et pragmatique. Dans celui-ci, il invite l’Europe à replacer l’industrie au centre de la stratégie économique afin de réussir la double transition verte et numérique et de renforcer l’autonomie du continent.
Son rapport prône de renforcer l’innovation, de faire baisser le coût de l’énergie pour les entreprises et de mobiliser des investissements massifs vers les secteurs stratégiques.
Sur cette base, la Commission a fait de la compétitivité industrielle une priorité pour 2024-2029 et les recommandations de Draghi inspirent le Clean Industrial Deal ainsi que la Boussole de la compétitivité.
Sur le plan législatif, l’UE déploie aussi des outils concrets. À titre d’exemple, le Net Zero Industry Act vise à ce qu’en 2030 au moins 40 % des technologies propres déployées en Europe (solaire, éolien, batteries, etc.) soient fabriquées dans l’UE. Il prévoit de simplifier les permis d’usines stratégiques et d’accélérer le financement de ces projets. Le pendant Critical Raw Materials Act doit sécuriser l’accès aux métaux critiques (lithium, terres rares…) indispensables à ces filières, en développant des capacités d’extraction et de raffinage européennes.
Cet élan communautaire offre un appui précieux aux États membres et aux régions, mais ne fonctionnera pas sans une appropriation pleine de ces derniers. En s’alignant sur les priorités européennes – innovation, transition bas-carbone, souveraineté technologique –, notre région pourra bénéficier des financements et programmes de l’UE, tout en s’inscrivant en cohérence avec la dynamique globale européenne.
En somme, ces transformations à l’échelle mondiale et européenne présentent des menaces claires, mais tout autant d’opportunités pour notre région, et celle-ci a des atouts à faire valoir.
L’industrie, un pilier stratégique pour la Wallonie
Côté wallon, l’industrie a tendanciellement décliné en poids relatif au fil des décennies, mais elle représente toujours environ 13 % du PIB régional. Ce niveau est loin d’être marginal, mais il reste éloigné de l’objectif des 20 % porté par AKT, et inspiré du niveau allemand.
Cette évolution s’explique par la tertiarisation de l’économie et la disparition de pans industriels historiques trop peu compensés par des développements nouveaux. Néanmoins, la Wallonie conserve des pôles d’excellence industriels : biotech, agroalimentaire, aérospatiale et défense, ingénierie… Ces forces constituent un socle solide sur lequel bâtir la croissance.
Car notre économie globale ne pourra prospérer que si son socle industriel se renforce. Les arguments sont connus :
• Autonomie stratégique : disposer de capacités productives locales (médicaments, équipements, défense, etc.) garantit une souveraineté économique et politique face aux crises.
• Prospérité et emplois : un secteur industriel fort génère des emplois qualifiés, bien rémunérés et de la valeur ajoutée – c’est un pilier du niveau de vie des citoyens et de la croissance.
• Transition écologique : l’industrie développe et produit en masse les innovations indispensables pour atteindre nos objectifs climatiques.
• Exportations : dans une petite économie ouverte comme la Wallonie, l’industrie constitue le moteur des exportations et de la balance commerciale, et plus largement garantit l’équilibre des paramètres économiques globaux.
En somme – mais faut-il encore s’en convaincre ? –, l’industrie n’appartient pas au passé : elle est au cœur des solutions d’avenir, du climat à l’économie.
Un policy-mix en construction pour le renouveau industriel wallon
La question qui se pose est donc de savoir si la Wallonie pourra effectivement capitaliser sur ses atouts, et tirer parti des évolutions du contexte international pour se repositionner comme une région industrielle de premier plan. AKT est convaincue de l’affirmative.
La Wallonie ne part pas de rien pour orchestrer son renouveau industriel, mais il faut actionner simultanément tous les leviers du policy-mix. Aucune mesure isolée ne suffira : seule une stratégie cohérente combinant attractivité du territoire, compétences, énergie, innovation et financement recréera un écosystème propice.
La Déclaration de politique régionale 2024-2029 affiche justement la volonté de réindustrialiser durablement la Wallonie, en phase avec l’élan européen et la double transition numérique/climat. Concrètement, le Gouvernement entend faciliter l’implantation d’activités (terrains industriels disponibles, permis accélérés, meilleures infrastructures, qualification de la main-d’œuvre, accessibilité de l’énergie à un coût compétitif…) et concentrer les efforts sur des secteurs stratégiques cibles.
Plusieurs initiatives récentes illustrent cette mobilisation. En mars 2025, le Gouvernement wallon, par la voie de son ministre de l’Industrie, a lancé son Forum de l’industrie, réunissant les secteurs industriels et les pouvoirs publics pour co-construire une feuille de route industrielle et instaurer un dialogue permanent.
Au niveau national, le plan interfédéral MAKE 2025-2030 fédère également tous les acteurs autour d’actions concrètes pour lever les obstacles structurels et rebâtir une base industrielle résiliente et innovante en Belgique.
La prise de conscience est donc là. Le cap est à présent fixé. Les premières pierres commencent à être posées. C’est par cette action résolue et collective que l’industrie wallonne pourra écrire une nouvelle page de son histoire.
par Jean-Christophe Delahu (AKT for Wallonia)